Crémant de Bourgogne : 50 ans et toutes ses bulles
– par Antoine Gavory –
En 1975, le crémant de Bourgogne entre dans la cour des grands avec l’obtention de son AOC. Cinquante ans plus tard, l’effervescent bourguignon n’a rien. perdu de sa pétillance, porté par une croissance fulgurante et une reconnaissance accrue. Face à un Champagne bousculé et à une consommation plus décontractée, le crémant trace son salon, et met en avant son terroir et l’audace de ses producteurs.

1975. Quelle belle année ! Alors que Joe Dassin nous prépare au réchauffement climatique avec L’Été indien (adaptation de Africa du groupe Albatros), Gérard Vitteaut, à la tête du Domaine Vitteaut-Alberti à Rully, fredonnait peut-être le célèbre : « On ira, où tu voudras quand tu voudras… ». Prémonitoire, car cette année-là, Gérard Vitteaut sait où il va et il n’y va pas seul. Dans son baillot (le panier des vendangeurs), il emmène un petit vin mousseux, produit depuis le XIIIe siècle à Auxerre puis plus largement dès le XVIIIe siècle en Bourgogne. Son nom : le crémant. Et où va-t-il ? Vers une reconnaissance en AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) car ce crémant, que l’on produit aussi en Alsace ou dans la Loire, il le veut bourguignon ! Gérard Vitteaut est alors le plus jeune élaborateur membre du groupe de travail qui aboutit, le 14 octobre 1975 à la création du décret de l’AOC Crémant de Bourgogne qui définit les règles de son élaboration.
SOUS LES BULLES, LE COMBAT
Un demi-siècle plus tard, comme un hommage, c’est sa fille, Agnès Vitteaut-Alberti qui est à la tête du domaine mais aussi de l’Union des producteurs et des élaborateurs de Crémant de Bourgogne (UPECB). Et en un jubilé, il en a coulé du crémant dans les cuveries. En 1975, la production s’élevait à environ 1M de bouteilles. En 1993, elle atteignait 5,6M, pour culminer aujourd’hui à près de 23,6M de bouteilles par an, soit une croissance de plus de 2.000 % en 50 ans. L’appellation couvre désormais plus de 3.400 hectares, mobilise près de 3 700 opérateurs, dont 1 .700 vignerons, et représente environ 140M€ de chiff re d’affaires, avec près de la moitié des volumes exportés (49 %). Et malgré la baisse de la consommation, les humeurs capricieuses de Donald Trump : « Il y a deux vins qui sortent la tête de l’eau et arrivent à résister. C’est le Prosecco et les Crémants, explique Agnès Vitteaut-Alberti. Ils ont un mode de consommation informel, contrairement au Champagne qui est plus formel. Pour le Champagne, vous attendez vraiment de célébrer un truc particulier, alors que là, vous consommez le Crémant de façon plus cool, entre amis, ou lors d’un « afterwork ». Comme un truc simple, quoi. C’est le Prosecco qui a divulgué ces modes de consommation, et nous [le Crémant] on correspond à ça. On est un vin léger tout en étant issu d’un terroir bourguignon qualitatif ».
Un terroir que les producteurs veulent mettre en avant. Depuis le 1er janvier 2025, les crémants de Bourgogne ont l’autorisation de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) d’indiquer le lieudit de production. Un cadeau ? Pas vraiment. Il a fallu 11 ans à l’UPECB et une mise en demeure de l’INAO pour que cette dernière revoie la hiérarchisation des crémants, autorise l’ajout de mentions parcellaires ou de classements qualitatifs. En fait, pour que l’INAO accepte d’appliquer le droit communautaire. Mais, si l’autorisation est actée, la mise en place, et notamment la modification du cahier des charges de l’AOC restent nébuleuses : « Le compte-rendu n’est toujours pas sorti et donc on ne sait toujours pas comment et quand ça va s’appliquer » ajoute Agnès Vitteaut-Alberti.
Derrière ces lenteurs : « probablement les producteurs de Champagne qui coincent ». Longtemps portés par un marché international favorable, notamment aux États-Unis, les vins de Champagne voient aujourd’hui leur popularité baisser en France, jugés « trop chers » par les consommateurs. L’instabilité du marché américain depuis l’élection de Trump et la montée en gamme des crémants – plus abordables et mieux promus – ont fragilisé leur position. Moins innovante en communication, la Champagne souff re désormais de la comparaison, d’autant plus en période de crise où la devise « Mieux vaut un bon crémant qu’un mauvais champagne » s’impose de plus en plus.
