La Chablisienne,un siècle d’audace coopérative

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Née dans le contexte économique de l’après Première Guerre mondiale, la coopérative La Chablisienne s’est imposée comme l’un des acteurs majeurs du vignoble bourguignon. Sous l’impulsion de son directeur général, Damien Leclerc, la coopérative conjugue fidélité au terroir, stratégie de marque et ouverture internationale. Portrait d’une maison séculaire qui incarne la force d’un collectif et l’ambition d’une entreprise moderne.

– par Enzo Beaudet –

L’histoire débute en 1923. La Bourgogne est encore marquée par la guerre et les crises agricoles; les vignerons du Chablisien qui peinent à vendre leur récolte, s’unissent pour vendre ensemble leur production. L’idée simple – mutualiser pour survivre – se transforme, au fil des décennies, en un projet collectif ambitieux qui regroupe aujourd’hui environ 250 vignerons. Au sein de la coopérative, chacun apporte ses raisins, vinifiés ensuite par les équipes techniques. Une organisation qui permet de garantir une homogénéité qualitative et de porter haut l’identité du Chablis. « C’est un modèle exigeant, mais qui nous permet d’investir régulièrement dans nos outils techniques et de rester à la pointe », souligne Damien Leclerc, directeur général depuis 2008.

La notoriété de la maison s’appuie aussi sur des acquisitions symboliques : Le Château Grenouilles, prestigieux grand cru, entré dans le giron de la coopérative à la fin du XXe siècle. Un patrimoine rare, géré collectivement, qui illustre la capacité de la Chablisienne à conjuguer tradition et modernité. « C’est un luxe accessible », insiste le directeur général, convaincu que le positionnement premium mais abordable de la marque correspond aux attentes actuelles des consommateurs.

Croissance et résilience dans un marché en mutation

Le vin est confronté à une baisse mondiale de la consommation (-2,3 % en 2024), accélérée par l’inflation et les nouvelles habitudes alimentaires. « La tendance depuis 30 ou 40 ans est claire : on boit moins, mais mieux », constate Damien Leclerc. Une évolution qui conforte le positionnement qualitatif de la coopérative. Avec près de 93 % de ses ventes réalisées via les distributeurs, la coopérative s’appuie sur un réseau solide de cavistes, grossistes, restaurateurs et exportateurs. Ses marchés historiques – Royaume-Uni, Canada, États-Unis, Scandinavie et Japon – assurent une base stable, tandis que la zone Asie-Pacifique constitue un relais de croissance. « Dans un monde marqué par l’incertitude géopolitique et climatique, diversifier nos débouchés est essentiel », explique Damien Leclerc. Cette stratégie n’exclut pas l’innovation commerciale. La coopérative a récemment ouvert une antenne à Paris, dans le quartier du Marais, pour renforcer son image et capter une clientèle urbaine et internationale. Une démarche inscrite dans une logique plus large de valorisation du savoir-faire et de développement de l’œnotourisme, complément indispensable à l’activité économique.

Mais la résilience de la Chablisienne tient aussi à sa gestion prudente. Face aux aléas climatiques – gel, grêle ou sécheresse –, la coopérative mise sur le stockage et une mise sur le marché différée. « Nous attendons souvent 2 à 4 ans avant de proposer nos vins à la vente. Cela permet de lisser les volumes dans le temps et de garantir aux consommateurs des bouteilles prêtes à déguster », précise Damien Leclerc. Une stratégie coûteuse, qui exige des fonds propres solides, mais qui confère un avantage indéniable.

Entre terroir et avenir durable

Pour valoriser son territoire, la Chablisienne mise aussi sur l’œnotourisme. Accueil des visiteurs, à Chablis comme à Paris, découverte de l’histoire de la maison et de ses méthodes de production, dégustation de ses vins. L’objectif est de rapprocher le consommateur du terroir et de dépasser la simple dégustation. À l’international, la stratégie se poursuit avec une volonté de consolider les marchés historiques tout en accélérant dans la zone Asie-Pacifique, perçue comme un relais de croissance majeur. Diversification des débouchés, adaptation des gammes et « uxe accessible » demeurent les piliers de cette dynamique.

Enfin, la coopérative entend investir davantage dans la modernisation de ses outils de production et dans la transition environnementale. La certification progressive de certaines parcelles, la gestion rigoureuse des stocks pour faire face aux aléas climatiques et l’exploration de nouvelles pratiques viticoles témoignent de cette ambition. « Les cent prochaines années seront celles de la qualité et de la durabilité », conclut Damien Leclerc.