Paul-Antoine de Carville – « Notre stratégie est très claire : moins de dépenses et plus d’investissements » 

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Antoine Gavory : En décembre dernier, après la décision de fermer le studio municipal, vous avez été accusé par l’opposition de faire de la culture, le parent pauvre de votre politique. Qu’est ce qui a motivé cette décision ? Paul-Antoine de Carville : Dans les années 2000, le maire de l’époque a lancé la MJC. Une partie de cet espace a été transformée en studio d’enregistrement, qu’on a appelé Le garage. L’idée était d’offrir aux jeunes un endroit où répéter et enregistrer leur musique, tout ça financé par la ville mais c’était un choix au même titre que d’autres services comme le sport. Pendant 25 ans, ce garage a fonctionné avec deux ou trois salariés, payés entièrement par la collectivité. On a tenté de redynamiser en injectant des fonds, mais l’activité est restée la même. Sur les dernières années ça coûtait à la ville environ 160.000 € chaque année et ça ne rapportait que 4 à 6.000€. La Cour des Comptes elle-même a mentionné des problèmes spécifiques dans son rapport, sur les notes de frais, sur le fonctionnement interne, les résultats et les coûts. Donc on devait revoir tout ça. Puis nous avons subi une pression financière importante ces dernières années sur notre épargne alors on a effectué un audit pour identifier les services non obligatoires que nous pouvions arrêter. Effectivement, en 2024, nous avons pris des décisions plus radicales. L’impact de cet argent investi n’était pas suffisant par rapport à d’autres équipements culturels et nous avons arrêté deux services : le garage et l’atelier de moulage qui lui aussi coûtait 120.000€ à la collectivité et rapportait 20.000€. La polémique n’est due qu’au fait qu’on a mis fin à un système en place depuis longtemps et fait le choix de privilégier d’autres équipements.

Quels sont les équipements que vous avez décidé de privilégier ?

On a décidé de renforcer nos bibliothèques, en reconstruisant une bibliothèque dans un quartier défavorisé, en rénovant la bibliothèque centrale et en la rendant gratuite. Rien que ça, c’est un coût de 10.000€ par an. Puis on a mis en place une maison associative offrant des bureaux gratuits aux associations. L’idée c’est de maximiser l’impact de l’euro investi au service de l’usager. On a besoin d’investir dans le patrimoine, comme la rénovation de l’église Saint-Maurice.

On rénove nos musées et bibliothèques pour mieux accueillir les gens. Le budget de la culture à Sens, c’est plusieurs millions d’euros. Mais avec les salaires, c’est difficile à chiffrer précisément. Les bibliothèques, ce sont 21 employés, 7 au théâtre. Et puis on a créé un concept appelé « Bel Été », un fil rouge entre tous les événements de l’été. Au lieu d’événements isolés, on fait en sorte qu’il y ait un ensemble de choses cohérentes, comme des concerts gratuits, des balades et des festivals… On distribue aussi un magazine gratuit à tous les habitants avec les 300 activités proposées.

Sur le plan culturel, comment la ville de Sens se positionne-t-elle par rapport aux autres villes de la région comme Auxerre, et à Paris ?
Ce sont deux bassins très différents qui ne sont pas concurrentiels. Beaucoup d’habitants de Sens travaillent à Paris. Ceux d’Auxerre travaillent dans les institutions étatiques, y ont de la famille ou des projets économiques

locaux. Les gens ne vont pas à Auxerre s’ils vivent à Sens et inversement, sauf pour la foire de Sens qui attire des gens de partout et pour le football. Donc on se concentre sur l’offre culturelle pour nos habitants, sans chercher à attirer des touristes culturels. On préfère organiser des événements pour animer la vie locale et offrir un cadre de vie attractif. On a plusieurs centaines d’évènements qui se déroulent de la Foire de Sens à septembre. Tous lesweek-end,ilyaquelquechose. Surlemêmeprincipe, on a lancé « Bel Hiver » avec des activités variées presque toutes gratuites. On a un festival de Jazz de grande qualité et un concept qui cartonne, ce sont les apéros concert. Pour 1000€ on a un chanteur et 400, 500 personnes. On a eu Axel Red, Gilbert Montagné, la tournée 80. Puis on a des talents locaux. C’est du concret et les Sénonais le voient.

Quand on entend parler de Sens c’est souvent négativement et dans la rubrique des faits divers. Comment travaillez-vous sur cette image ?
C’est un peu le reproche qu’on fait à beaucoup de médias notamment les médias auxerrois. Donc, on a des partenariats qui ont été mis en place avec ex-France Bleu. Depuis quelques années, on a fait changer un peu la perception. Mais les médias sont sur Auxerre, sur le Morvan alors qu’on fournit la plus grosse actualité. On a une hausse de la population depuis 3-4 ans de 1 % par an, un tissu industriel puissant, avec 20 % des emplois. C’est dû à quelques grosses locomotives notamment dans l’agroalimentaire et la micromécanique mais aussi des entreprises familiales bien implantées. On a des compétences qui permettent aux entreprises de se développer. On a un des plus gros lycées de France dans la productique et la plasturgie. On a vécu un exode rural important, un appauvrissement du centre-ville et beaucoup de logements nécessitent une réhabilitation ; mais il y a un retour vers la proximité des services publics et une forte demande. Des parisiens sont venus, mais surtout des retraités et des familles qui s’étaient éloignées en zones rurales mais qui ont des enfants. Et c’est plus simple en ville.

Comment anticipez-vous les futures mesures gouvernementales et les réductions de dotations ? Notre stratégie est très claire : moins de dépenses et plus d’investissements. Comme un ménage qui sait qu’il va avoir des enfants. On se serre la ceinture, on investit et dans 15 ou 20 ans, on aura les équipements nécessaires. On a un taux d’endettement plus faible que la moyenne. Mais on a aussi des partenaires. Plus on investit, plus on est accompagné. Puis il y a la question de l’énergie. Plus on attend et plus ça coutera cher. On doit donc investir. Ce qui m’inquiète, ce sont les baisses indirectes, les réductions de budget de nos partenaires comme la Région et l’État. Puis la suppression du levier fiscal de la taxe d’habitation nous pose problème, car elle ne compense pas notre croissance démographique et ça rompt le lien fiscal avec les habitants. Puis on a un territoire de potentiel mais on a été abîmés par 30 ou 40 ans de désertification. Pour se relever, ça prend du temps. ■