Crescent Marault

Clivante, disruptive ou bien visionnaire, les avis divergent pour qualifier la méthode du nouvel homme fort de l’Auxerrois. Depuis son élection à la mairie et à la présidence de la communauté d’agglomération, celui qui revendique volontiers appliquer une stratégie « inspirée du monde de l’entreprise », mais respectueuse des « spécificités des collectivités territoriales » fait avancer les dossiers tambour battant, quitte à s’attirer les foudres de ses détracteurs qui lui reprochent parfois de décider seul.
Stéphane Bourdier : Les silos du Batardeau ont disparu du paysage auxerrois alors que nous les pensions éternels. Comment s’est dénoué ce dossier ?
Crescent Marault : Par le travail. C’était un dossier en jachère quand nous sommes arrivés aux responsabilités. L’ancienne municipalité ne savait pas comment le prendre. Elle avait pris contact pour racheter les silos mais n’a jamais réussi à s’entendre avec le vendeur. Elle a laissé un peu pourrir la situation comme avec la halle Sernam… Elle ne savait pas comment faire non plus. Elle l’avait même proposé à l’euro symbolique à un bailleur social. C’est comme pour tout, il faut déjà avoir une ambition.
Quelle est donc cette ambition dont vous parlez souvent ?
Le futur quartier Batardeau-Montardoins va devenir le terrain de l’expérimentation et de l’innovation. Dans un environnement où il y a une raréfaction des financements publics et une compétition entre les territoires, c’est comme cela que des projets peuvent être mieux financés que d’autres. Par exemple, pour le quartier Batardeau-Montardoins, nous avons été lauréat des « démonstrateurs des villes durables de demain ». Sur le plan vélo, nous avons été lauréat des territoires cyclables. Sur l’abbaye Saint-Germain, nous avons été inscrits dans le contrat de plan État-région (CPER) comme sur le volet hydrogène, où nous avons été retenus
dans un deuxième appel à manifestation d’intérêts (Ami) de l’Ademe. En étant innovants, nous avons réussi à susciter l’intérêt d’investisseurs publics et privés.
Politiquement, c’est un risque d’être ambitieux. Cela demande beaucoup de travail, de détermination, de conviction, de pédagogie et une certaine agilité. Par principe, le politique est prudent… Je refuse de me projeter sur de quelconques échéances électorales pour guider notre action.
Dans les grandes lignes, quels sont les préceptes qui doivent guider l’émergence de ce nouveau quartier ?
Dans la conception de l’aménagement urbain, nous avons décidé d’intégrer les enjeux de la transition écologique tels que la désimperméabilisation des sols, la revégétalisation afin de lutter contre les îlots de chaleur, le traitement thermique des bâtiments pour restreindre la consommation d’énergie ou l’utilisation de matériaux biosourcés pour la construction. Dans un quartier de 17 hectares, nous devons aussi repenser l’usage de la voiture et redéfinir la mobilité. Nous devons être innovants mais rester en adéquation avec une certaine viabilité économique. Nous avons aussi la contrainte supplémentaire que nous devons transformer en opportunité de respecter le bâti industriel historique.
Autre dossier qui s’est débloqué, la création de la Liaison sud d’Auxerre (Lisa) que beaucoup avaient enterrée. Comment cela s’est passé ? Quand nous avons été élus, c’est l’un des deux dossiers que nous avons ouvert avec l’Anru. Département, État, Région, personne ne discutait ensemble du sujet. Nous avons mis tout le monde autour de la table grâce à la préfecture et mis en place un comité de pilotage. Tout le monde était d’accord pour faire la Lisa mais personne n’avait budgété son financement… Nous sommes allés chercher les 38 M € qui manquaient mais, au final, ce sont les plus petites collectivités – la ville et l’agglomération – qui se trouvent à payer le plus lourd tribut.
Nous avons un programme d’investissement sur une dizaine d’années.
La Lisa va permettre de supprimer 15.000 véhicules dont des camions qui transitent par Auxerre – mais aussi Perrigny, Saint-Georges-sur-Baulche, Augy, Champs-sur-Yonne – et qui n’ont rien à y faire. Ce n’est pas qu’une simple déviation. C’est un projet d’aménagement du territoire qui va permettre de repenser le plan de circulation, de réaménager et végétaliser les espaces publics, de réaliser des pistes cyclables sécurisées et d’améliorer la qualité de l’air.
Après la restauration du cloître, les travaux de l’abbatiale de l’abbaye Saint-Germain ont démarré. Quelle place doit jouer cet ensemble dans la stratégie économique et touristique du territoire ?
Nous avons un site historique qui a 1.600 ans d’Histoire autour d’une personnalité célèbre, Saint-Germain de l’Auxerrois, qui abrite les plus anciennes fresques de France, composé d’une abbaye et d’un musée, au pied du plus vieux domaine viticole urbain de France, le Clos de la Chaînette, à proximité du centre-ville et de la rivière. Nous avons le potentiel architectural et touristique de l’abbaye royale de Fontevraud, qui est située au milieu de nulle part, et attire 200.000 à 250.000 visiteurs par an. Pour cela, nous devions remettre cette abbaye en état de marche car nous l’avons trouvé dans un état avancé de délabrement. Les derniers travaux dataient de Jean-Pierre Soisson en 1995.
Nous souhaitons valoriser l’histoire de Saint-Germain, valoriser les f resques, renforcer l’attractivité du parcours muséal et sa capacité à accueillir différentes expositions. Nous avons commencé par un partenariat avec le Centre Pompidou. Nous devons développer tous les services que nous trouvons autour de ces sites : restauration, hôtellerie, animation, boutique, résidence d’artiste. Nous avons un programme d’investissement sur une dizaine d’années, autour de 25 M €. Saint-Germain
a attiré 65.000 visiteurs l’an dernier. Nous avons l’ambition d’en attirer demain 150.000. Nous devons nous inscrire dans la dynamique de Guédelon, de Chablis et de Vézelay et devenir le hub en termes d’infrastructures hôtelières et de transport.
S.B : Il y a un sujet qui crée une crispation dans l’opposition, c’est le recours à l’Établissement public foncier (EPF) Doubs BFC pour votre stratégie d’aménagement. Que répondez-vous à cela ?
C.M : C’est un outil mutualisé qui a été créé pour aider les collectivités à faire du portage foncier. Y avoir recours permet de lancer un projet qui demande en général trois à six ans pour voir le jour, d’être certain d’être propriétaire du foncier, sans avoir à bloquer une somme d’argent qui peut nous servir à rénover une école ou à refaire des routes, par exemple. Faire venir un investisseur à Auxerre est très compliqué d’autant plus si nous ne maîtrisons pas le foncier. Nous achetons les biens que nous estimons stratégiques pour le développement. Certes, c’est une dette, mais adossée à un actif acheté à l’estimation des domaines. Dans le pire des cas, si nous n’en avons pas besoin, nous la revendrons. Ce que je constate, c’est que des maires de toutes sensibilités politiques utilisent l’EPF aujourd’hui pour leur stratégie de développement mais dans l’Yonne, cela reste un peu nouveau.
S.B : Après bientôt cinq ans de mandat, certains vous reprochent une méthode singulière ? C.M : Nous avons adopté une gouvernance stratégique issue des gouvernances stratégiques d’entreprises. Je n’ai pas dit que nous gérions la collectivité comme une entreprise mais que la stratégie était inspirée de ce que nous faisions dans les entreprises. Nous conduisons une stratégie de long terme avec une capacité à anticiper, à réduire l’incertitude et à répondre aux enjeux futurs. Nous avons convaincu une majorité d’élus que nous pouvions avoir une méthodologie stratégique dans une collectivité. Nous avons convaincu des agents que pour eux, c’était une amélioration, une évolution dans la façon d’exercer leurs compétences techniques. Et nous avons convaincu également des investisseurs qui, en temps normal, ne seraient jamais venus à Auxerre.