De Johnny Halliday à Vacra, depuis 75 ans, l’Escale fait émerger les talents

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Si les photos dédicacées de Johnny Halliday, Marcel Amont, Becaud, Trénet, Brel, Greco trônent toujours fièrement au-dessus du bar, « L’escale aujourd’hui se rapproche plus d’un club que d’un cabaret, explique Sophie Torcol, sa responsable de la communication, également programmatrice du Festival Garçon la Note à Auxerre. Aujourd’hui c’est un solide outil pédagogique qui s’inscrit dans un véritable programme culturel sur le Migennois autour de la musique actuelle ». Alors c’est quoi la musique actuelle ? Retour en arrière sur l’histoire de ce lieu emblématique de l’Yonne qui a fêté, en 2024, les vingt ans de sa réouverture.


Des débuts de Johnny la musique actuelle
Avant la seconde Guerre-Mondiale, l’Escale est l’un des quatre dancing de Migennes. Une guinguette à ciel ouvert, au bord du canal, qui appartient à l’Hôtel-café-restaurant de la Réunion, transformée en salle par les propriétaires d’alors, « des certains » Tellier et Duprez. On y vient danser le paso doble, le tango et passer des après-midi. C’est là que les couples se font et se défont, que les amis se retrouvent. Mais en 1944, la ville est détruite à 60% par les bombardements et le dancing est entièrement soufflé. En 1950, les parents de Michel Wattelier rachètent les droits de reconstruction et créent L’Escale : « C’est au bord de l’eau, c’est une chanson de Piaf dont j’étais fan et je n’avais qu’une idée en tête, rendre cette salle digne d’elle », explique Michel Wattelier à Auxerre TV en 2010. Si Édith Piaf ne viendra jamais à Migennes, Michel fait en revanche venir des noms de jeunes chanteurs dont un inconnu : Johnny Halliday qui signera ici son premier contrat professionnel en 1960. La bombe sera Bécaud en 1955 au retour de l’Olympia ; puis viennent les vedettes : Greco, Trénet, Aznavour, Jacques Brel, Sydney Bechet, Marcel Amont, Fernand Reynaud, Marguerite Monnot, Petula Clark, Isabelle Aubret… L’escale s’installe comme un lieu incontournable de la scène pour les vedettes qui, depuis Paris, débutent leurs tournées en Province et s’arrêtent à la gare voisine : « À l’époque on passe de la musique à danser à la musique à voir », explique Guillaume Dijoux, directeur et programmateur de l’Escale. Puis débarque la vague des Yéyés avec Dick Rivers, les Chaussettes noires et leur leader Eddy Mitchell, les Vampires. Halliday devient une vedette. À l’Escale, les blousons noirs remplacent les robes à pois et les costumes trois-pièces : « On passe sur de la musique amplifiée, explique Sophie Torcol, que l’on appelle aujourd’hui de la musique actuelle ». Cette apogée signe pourtant la déclin du lieu. Le dernier véritable concert a lieu au Nouvel an 1969-1970 avant une série plus sporadique de spectacles jusque dans les années 1980 où le bâtiment en mauvais état est définitivement fermé avant d’être racheté par la ville en 2003 avec l’idée de « reconstruire ce petit Olympia ».

Un outil au service de la transmission
Vingt ans après sa réouverture en 2004, si c’est une autre vedette, Alain Chamfort, qui est venu célébrer cet anniversaire, L’Escale n’a pas renié son rôle : « La programmation que l’on fait aujourd’hui n’est pas différente de ce qui se faisait à cette époque-là, explique Guillaume, on propose du jazz, du rock, des musiques du monde mais avec une dimension action culturelle sur un territoire rural plutôt défavorisé. » Cette action culturelle est pour l’association pour la gestion des événements musicaux de Migennes (A.G.E.M), créée en 2007 pour gérer l’activité du lieu, une façon de ne pas seulement capitaliser sur la renommée du lieu, aussi prestigieuse soit-elle : « On est la seule salle de ce type du département, ajoute Sophie Torcol, donc on a une dimension action et équipement culturel, une mission de transmission, de soutien à la création, de circulation des artistes. Sens a raté sa politique culturelle. Auxerre a la chance d’avoir déjà les équipements qu’elle ne pourrait peut-être plus s’offrir aujourd’hui ». Du fait, L’Escale concentre un public venu de tout le département, des villes limitrophes (Montereau) tout en agissant sur son propre bassin de vie. Parmi les actions : le plan de programmation éducatif pour les primaires qui permet à un millier d’élèves de découvrir cinq concerts différents tout au long de leur scolarité, mais aussi la possibilité aux élèves de l’école de musique de monter sur scène et de se confronter au public, ou encore l’initiation aux métiers techniques : « On est dans la proximité, dans les problématiques d’Économie sociale et solidaire, explique Guillaume ; s’il y avait plein d’escales, ce serait formidable pour la création ». Mais pour Sophie Torcol, L’Escale continue de jouer son rôle d’émergence : « Vacra (hit social aux NRJ Music Awards) a fait son premier concert ici, accompagné par sa maman. Dans une interview, il se désolait d’avoir eu 40 personnes. On lui a rappelé que Johnny avait fait un bide ici en 1960 pour son premier concert professionnel ». Et même si, selon Sophie, la chanson française se gentrifie, Guillaume insiste sur la variété de la programmation : « Le rap c’est la chanson française d’aujourd’hui, et on peut prendre des risques et programmer des artistes qui attireront trente spectateurs. C’est la différence avec un lieu dont le modèle est l’économie. On attend de nous que l’on joue un rôle de découvreur. C’est une rencontre entre le public et les artistes. C’est un juste équilibre, économiquement difficile, mais nécessaire ». Du stand-up, de l’humour, de la chanson française à textes, du rap, du rock, du théâtre, L’Escale s’inscrit aussi dans un réseau avec d’autres lieux : le théâtre Perché à Brinon, la SMAC d’Auxerre, Le silex, la Péniche, le théâtre d’Auxerre, les différents festivals : « On trouve des équilibres ensemble pour que chacun trouve ce qu’il cherche. Notre territoire est rural et isolé mais finalement quand on regarde, on a un maillage culturel extraordinaire. Il faudrait des trains de nuit ou des réseaux de bus couplés avec des mobilités douces pour permettre au public de venir », conclut Guillaume Dijoux.